Destination Terre > Afrique > Niger

Autour du thé on parle de politique,on se raconte des légendes et des histoires merveilleuses, on se donne des nouvelles de la famille, on évoque les souvenirs...
Il y a 26 ans de ça, j'étais africaine. Personne ne m'avait dit le contraire, alors comment aurais-je pu savoir...
A arlit, nous étions une petite bande de gamins blancs et noirs, tous mélangés, tous dépenaillés avec un centimètre de sable sur le crâne, toujours à trainer nos tongs dans d'interminables chasses à la tourterelle ( que nous faisions cuire ensuite, sans l'avoir vraiment vidée, dans une boite de conserve avec l'huile qu'Omar Cissé piquait chez sa mère, afin de la déguster accompagnée de la harissa qu'un autre avait amenée de chez lui...).Nous fabriquions des maisons et des villages entiers à l'aide de tout ce que nous trouvions par terre (allumettes, papiers de bonbons, capsules...) , les rues les murs et autres délimitations étaient en sable et chaque jour il nous fallait recommencer, c'était tellement prenant!
A la pépinière du village il y avait plusieures essences d'arbres fruitiers, on aurait dit un jardin d'Eden, ça sentait bon.Un jour nous nous étions mis en tête d'aller voler des citrons , pauvres fous inconscients!! C'était sans compter le "terrible" gardien des lieux !!: un "immense" chaouch coiffé d'un grand chapeau de paille pointu sur son chech. Il n'a pas mis 5 minutes à nous repérer et nous a poursuivi en hurlant de féroces imprécations secouant son bras armé d'un nerf de boeuf. C'est ce jour là que j'ai compris que quand on est poursuivi il faut courir sans se retourner parce que les yeux, les yeux rouges du chaouch peuvent porter la malédiction sur toi et sur les tiens pour des générations et des générations pour te punir d'avoir violé le jardin interdit...Nous étions tous tremblants de peur et de honte .Nous n'avons plus jamais évoqué ce" terrible moment" entre nous de peur que le gardien ne surgisse et ne nous poursuive à nouveau .
des souvenirs d'enfance j'en ai des tas dans ma mémoire, des odeurs ,des couleurs et des sons aussi.Si ça vous dit, je vous en ferait partager d'autres .
Mais mon problème à moi était que je croyais que j'étais africaine.Comment une petite fille blanche comme une motte de beurre peut croire qu'elle est africaine?
D'abord, je ne voyais pas en quoi la couleur était déterminante quand à une éventuelle appartenance à un peuple ou non.Ensuite, autour de moi je n'ai jamais rien entendu qui puisse infirmer ma croyance.Nous allions effectivement en France une fois par an, mais bon...ce n'était que des vacances!, ce n'était pas mon pays. J'étais contente de voir ma grand-mère d'aller faire les foins avec les autres , d'aller ramasser les primeurs pour les conserves de l'hiver (hiver?!) , les cerises et le tilleul. Mais Septembre, AAAHHH!!!!, Septembre,!, c'était le mois du retour à la maison, j'en rêve encore . Et puis, en 1981, nous sommes rentrés et j'ai compris à quel point c'était définitif quand j'ai vu courir Ouala , notre brave chienne slouguie courir derrière la 2CV .Et puis il y a eu la rentrée scolaire dans ce village du haut beaujolais et là, je n'ai pas pu m'empêcher de parler de mon beau pays , de mes amis de là bas, l'incompréhension, le racisme ordinaire, le rejet...Je ne voulais pas me vanter, ni me faire remarquer, j'étais juste en manque de mon Afrique et d'Arlit, mais ça a du être trop et les jeunes ne l'ont pas entendu comme ça, il faisait humide, froid dans ce noir pays de sapins et je n'avais pas réussi à me faire de nouveaux amis, à 13 ans c'est dur!
J'ai mis 8 ans à me faire à l'idée que je n'étais pas africaine et même maintenant , alors que j'ai enfin trouvé un coin de montagne où faire ma vie, je ne sais toujours pas trés bien qui je suis, quelque chose manque définitivement, j'ai encore et toujours l'impression tenace de n'être qu'une emigrée à cheval sur deux cultures, tiraillée entre deux mondes.
Je sais que je ne retournerai probablement jamais à Arlit mais d'avoir trouvé ce site a réveillé tous ces merveilleux souvenirs et je me rends compte à quel point cette période de ma vie fut de loin la plus exhaltante, la plus merveilleuse et à quel point elle conditionne encore ma vie d'aujourd'hui.
Ce n'est que de la nostalgie, c'est idiot d'accord, mais de faire revivre cette petite africaine en moi m'émeut et me ravi, car je vais (peut être?!) enfin pouvoir la lâcher comme on lâche les ballons au vent.
Merci à tous , merci à Matthieu Fillaud, à Cédric Roussel, aux momos (Christian et Alain), à David Lasserre (affectueusement surnommé "Bouboule), aux deux Valérie Mange et Ramage,à Omar Cissé et à son frère et à vous tous enfin qui avez fait de mon enfance un enchantement.

Superbe évocation.... Merci

Cécile,
Merci de nous avoir fait partager tes souvenirs, c'est tellement émouvant. Je te souhaite de tout coeur de ne plus en souffrir et d'en faire ta force. Cette enfance africaine a fait de toi la personne certainement pleine de caractère que tu es aujourd'hui. Tu tires ta richesse de tout ce passé, et c'est un trésor dont tu sauras faire profiter à tes enfants. Bon courage, et bravo pour avoir si bien su écrire.

très belle narration d'une tranche de vie ... si profondemment enracinnée ...
nous feras -tu le bonheur de partager encore ?..nous l'espérons ..

Bravo en effet!! Je me reconnais aussi dans une partie de vos souvenirs: la chasse aux tourterelles avec des lance-pierre et pieges, visites interessées aux jardiniers pour qu'ils nous donnent des citrons, grenades.. entre akokan et arlit... merci d'avoir partagé cette tranche de vie!

merci à toi cécile pour cette merveilleuse narration.

après avoir lu ton histoire, j'ai fermé les yeux et me suis retrouvée dans les rues d'agadez, les pieds nus , a essayé d'échapé à Akli (le fou du village à l'époque), tous les enfants en avaient peur ....
tu as raison, l'odeur, les couleurs, les rires et les pleurent résonnent en nous!!!
je suis franco-touaregue et ai vécu a agadez jusqu'à l'age de 16 ans, et tu vois tes souvenirs sont comme les miens.

toi aussi ton coeurest pris entre 2 mondes, mais très vite on arrive à trover l'équilibre , ce qui fait de nous, sans me vanter des etres exceptionnels.

c'est tout ce que tu as raconté que je transmet à mes enfants.

merci encore pour cette chaleur qui a envahie mon ame!!

hadiza

moi,je vivais a AKOKAN et pareil,j'ai vecu tous ça,que de bon souvenirs.et moi aussi,j'ai subi l'incompreansion de mes camarades d'ecole (en france)avec toujour les memes remarques genre:mais,tu n'es pas noir,comment ça ce fait?ou vous habitiait dans des huttes et vous chassiez avec des arcs.la betise meme et manque d'information(faut les excuser,ils ne savent pas ce quils disent)et ,moi pendant ce temp -la,je ne penser qu'a 1 chose,retourner chez moi,en afrique.a,la vie est mal faite,des fois.amitie,JEAN-MARC

dans ce que tu as écrit.

Moi aussi j'ai vécu la même chose, avec en prime une soeur toute noire et une maman métis (remariage de mon papa bien sûr) Eh bien le plus étrange c'est que ma soeur aussi noire qu'elle est été s'est mieux adaptée que moi qui était blanche et qui ne correspondait pas aux jeunes blancs formatés (déjà à 12 ans) par leur éducation et leur manque d'ouverture sur le monde....

Je rentrais de Pointe Noire, un retour qui n'était pas censé être définitif ....Ce n'était que les vacances.Alors quand nous sommes enfin repartis en Afrique, quelle joie !

La première année n'a pas été simple mais il ne me reste que des souvenirs d'adolescence merveilleux.

Cette année j'ai eu une chance inouïe : celle de retrouver quelques anciens d'Akokan et de faire la connaissance de ceux d'arlit.....

c'est bon cette nostalgie, elle fait partie de nous, nous enrichit au quotidien même si elle est quelquefois lourde à porter parce que nous ne savons où sont nos racines.
Ces voyages, ces séparations m'ont donnés une ouverture d'esprit et la capacité d'aller vers les autres sans retenue.
Je ne souhaite pas particulièrement y retourner, je veux garder mes souvenirs intacts.........

Merci à toi d'avoir partagé ces émotions avec nous, je sais que nous sommes nombreux à avoir grandit en afrique et vécu les mêmes difficultés en rentrant en France.

Ce n'est pas rien de l'écrire ! Ceux qui se sont sentis mis à l'écart à un moment donné de leur vie pour cette "particularité" sauront qu'ils ne sont pas seuls à en avoir souffert !

c'est rassurant de savoir que l'on appartient à un groupe, peut importe ce qui nous lie ^^

mes amitiés à vous tous


un petit bonjour particulier à toi jean-Marc ....... Peut être te souviendras tu de moi !!!!