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Actualités du Niger
Il est exactement 14h 30mn, ce jeudi 6 avril 2006, lorsque nous avons entrepris de parcourir la zone Tahoua-Tchintabaraden-Abalak. Un périple de trois jours qui a permis à notre équipe de reportage de toucher du doigt l’insou-tenable spectacle offert par les populations de cette région : des vieillards te-naillés par la faim, couchés à même des nattes sous des hangars à longueur de journée ; des femmes à pied ou à dos d’ânes, parcourant de longues distances, à la recherche de bois de chauffe ou de l’eau ; une ribambelle d’enfants en haillons, le corps décharné, le regard implorant, errant çà et là, à la quête d’une poignée de nourriture, d’une pièce de monnaie ; des cadavres d’animaux jonchant les abords des routes ; des villages abandonnés par les bras valides fuyant la misère…
Une litanie de complaintes
«La dernière campagne agricole n’a pas été satisfaisante. Nous n’avons pas récolté assez de vivres. Nos réserves sont épuisées depuis plusieurs mois. C’est pourquoi le village est désert. Presque tout le monde est parti. Il n’y a pas grand chose à faire ici pour se procurer de l’ar-gent et acheter des vivres. Alors nous sommes livrés à nous-mêmes, condam-nés à vivre au jour le jour dans la préca-rité et l’incertitude du lendemain», se plaint Abdoulaye Ousmane, 32 ans, père de quatre enfants, habitant à N’Kotayan. «Il y a 3 jours, mon mari a ramené quatre mesures de mil qu’il a achetées à Tahoua avec l’argent de bois de chauffe que j’ai vendu. Nous avons consommé le tout en deux jours parce que nous sommes une famille nombreuse. Nous n’avons plus rien et nous n’avons pas encore mangé de la journée», renchérit Algamiss Salawan, une femme de 24 ans, le visage précocement ridé. assise au milieu de ses enfants, le regard rivé sur des marmites au garage depuis plusieurs jours.
Alhousseini Ismaila, un habitant de Edouk II, est plus amer : «Notre souffrance est indescriptible. Nous manquons de tout. Nous n’avons pas de nourriture, nous n’avons pas d’eau. Ici, la vie est un enfer. Nous n’arrivons plus à subvenir à nos besoins élémentaires. Qu’y a-t-il de plus éprouvant pour un père de famille ? Parfois nos enfants se contentent de fruits de jujubiers que nos femmes cueillent en brousse. Aidez-nous ! », implore-t-il, avant d’enfouir son visage dans un turban. Comme pour cacher son regard insoutenable. Sa complainte est reprise par Arahmat Weissan, une femme de 60 ans : «Mon mari est décédé depuis longtemps. Je n’ai eu que des filles dont les maris ont abandonné le village depuis la famine qui a sévi l’année der-nière, sans nouvelles. Malgré mon âge, je suis toujours en brousse à la recherche de bois de chauffe que je vends pour les aider à nourrir leurs enfants. Nous n’avons pas d’autre soutien. Tout le village vit de cette façon, personne ne peut secourir l’autre», confie-t-elle, entre deux soupirs.
A l’entrée du village de Intibijinguirt, un homme du nom de Weissliman Bilal, 53 ans, père de huit enfants, se détacha du groupe de vieillards assis sur des nattes à l’ombre d’une case, et nous apostrophe. «Nous ne disposons pas d’un seul grain de mil dans nos greniers ! Si c’est des vivres que vous nous apportez, vous êtes la bienvenue…Mais nous en avons assez des gens comme vous qui viennent nous faire des promesses qu’ils ne tiennent jamais», proteste-t-il. «Comprenez sa colère ! Sa famille n’a pas mangé depuis deux jours. Comme nous tous d’ailleurs», déclare sur un ton plus conciliant, un quadragénaire du même village.
Iguelass Fongoni, un habitant de Tazaguezeguemet est, lui, inconsolable. Eleveur de son état, il a assisté impuissant à la mort de la moitié de son troupeau. Une partie a bradée sur les mar-chés environnants, à cause de la crise alimentaire qui a sévi l’année dernière. Il n’a plus assez d’animaux à vendre pour se procurer de vivres. «Si l’Etat ne nous aide pas avec des vivres et des aliments bétail, vous ne trouverez plus personne ici dans quelques mois», avertit-il.
Les enfants premières victimes
Cette situation, aussi alarmante et dramatique qu’elle soit, est commune à la quasi-totalité des villages de la région
de Tahoua. Une zone déshéritée, chroniquement déficitaire où se pratique une agriculture de subsistance. Les cultures sont pratiquées sur des sols dunaires, fortement dégradés au niveau des bas fonds, ce qui ne permet pas l’in-filtration de l’eau. «La situation risque d’être aussi grave sinon pire que celle que nous avons connue l’année dernière. Les récoltes n’ont pas été bonnes, parti-culièrement dans la zone pastorale. Les animaux aussi manquent d’eau, ce qui les oblige à se déplacer en permanence à la recherche du précieux liquide», affirme Mme Housseini Assibiti Akoteye, coordonnatrice de Tanakra (éveil en tamashek), une ONG qui intervient dans l’Azawak. D’autres ONG internationales interviennent également dans la région dans le cadre de la lutte contre la crise alimentaire et la malnutrition, déjà perceptibles dans toute la région. CONCERN, une ONG Britannique qui intervient au niveau de 15 sites, a ouvert des centres de récupération d’enfants malnutris. Selon M. Ben Trikcs, coordonnateur du programme d’urgence de CONCERN, «4800 enfants sont pris en charge dans les dif-férents sites. Dans le seul site de Tahoua, on dénombre 900 enfants malnutris. Un chiffre en nette progres-sion », dit-il. Les enfants y reçoivent, entre autres, du plumpy nut, de l’Unimix, du CSB …
La fédération internationale des Croix et Croissant rouges intervient également dans cette région où elle a ouvert des CRENAM dans 15 sites. «Au mois d’avril de cette année, 1071 enfants y sont suivis», affirme Mme Dalila Belarbi, une nutritionniste de ladite organisation. Les enfants suivis reçoivent de Prémix (farine sèche mélangée à l’huile) toutes les deux semaines. Action contre la faim intervient pour sa part dans deux départe-ments : Keita et Abalak. Elle a ouvert un CRENI et un CRENA où elle a recueilli 60 enfants sévèrement malnutris. La liste est loin d’être exhaustive, et dénote de l’urgence à intervenir dans cette zone.
Gorel Harouna (envoyé spécial)
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