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Communauté du Niger
Je vous dis, enfants d’Orient et d’Occident, je suis le fils du Sahara et du Sahel. Je ne connais ni le lieu exact où je suis né, ni même ma date de naissance ; pour les papiers j’ai choisis une date au hasard.
Aujourd’hui, je suis à Marseille dans le sud de la France.
Auparavant, j’ai parcouru le Sahel : le Mali, le Burkina Faso et le Niger jusqu’au Cameroun en Afrique centrale, là où il pleut jour et nuit et où certains vers étranges rentrent dans la peau.
Arrivé en France, j’ai eu le mal du pays. Etouffé, j’ai crié.
«Frères et amis de mon pays, c’est dans une grande ville d’Europe que je vis aujourd’hui.
Amis et frères des grandes villes, n’oubliez pas que c’est au bord du plus grand désert du monde que je suis né.
Dans la tempête entre les deux mondes, je suis pris. »
Après un long cauchemar, je me suis réveillé, mais il n’y a plus à la portée de mon regard que les dégâts et les ruines à observer. Ces dégâts sont dans nos âmes les amis touareg et moi. Les ruines sont celles de notre civilisation. Elle a été oppressée puis écrasée pour être punie pour résistance à la modernité.
Car une partie des touaregs est devenue sédentaire, vit en ville, dans des bidonvilles de banlieues où ils sont réfugiés ou mendiants. C’est ainsi que la sagesse et le courage des mystérieux hommes bleus du désert sont remplacés par la nostalgie et la détresse. Un bien triste destin pour les enfants des hommes libres, certains d’entre eux s’appellent encore aujourd’hui Imouchars, fils du sable et du vent.
Certains parmi vous pourraient peut être me demander quel est le point commun entre mes amis.
Je répondrais que je ne sais pas ou du moins que je ne sais plus, aussi je dirais peut être qu’ils sont tout simplement différents. Pourtant ils sont tous les fils des hommes, les enfants de l’humanité et vivent sur Terre. Plus jeune, j’étais certain d’avoir une réponse précise à cette question, j’ai du la perdre en cours de route, en devenant adulte.
Ainsi, après un long séjour en Occident, je suis revenu au Sahara de mon essence pour revoir la Source comme l’appelle les Anciens. J’espérais ainsi trouver des réponses à mes questions. Ma première vision fut la haute montagne. A sa cime j’ai senti les âmes des Hommes des temps révolus, j’ai vu les faucons tournoyer et à son pied était là, toujours, le puits blanc.
Cette nuit là, j’ai dormi entre l’amas rocheux et les dunes de l’éternité avec la protection de nos aïeux.
Voyez-vous, mes amis, cette nuit-là, j’ai fait des rêves qui n’étaient pas miens.
Oui, mes frères, c’étaient les songes d’enfants touaregs émigrés dans des pays lointains. Ils avaient été ramenés, portés par le vent à leur place, sur le dôme de la montagne sacrée, pour être avec les souvenirs de nos aïeux. Ce voyage de retour chez moi, au Sahara, n’a été effectué que par mon âme car mon corps n’a pas les moyens financiers pour le faire comme l’impose le monde actuel.
Alors mes amis, vous devez comprendre que ce désert, je l’aime et il n’est comparable à rien d’autre dans le monde.
Oui, j’aime notre désert et n’abandonnerai jamais l’ombre de ses rares acacias car à son sable se mêle la poussière des os de nos ancêtres.
Pour ces anciens, aussi long que soit un voyage, il ne peut mener au delà du désert. Car qu’aurions-nous voulu aller chercher plus loin ? Les moyens de transport se limitaient aux caravanes et aux méharis. Ils croyaient même qu’aussi grand soit le monde il se limitait au désert ! Pour beaucoup de touareg, même encore aujourd’hui, Min Nika au nord du Mali est le bout du monde.
Alors, les amis de France et d’ailleurs, pardonnez-moi, si vous me trouvez parfois pénible et ennuyeux avec mon air pensif et solitaire. C’est que, bien souvent, la nostalgie des temps révolus où mes grands pères étaient les seigneurs du désert me projette dans la détresse des miens. L’unique film qui défile et défile encore sous mes yeux est le malheur de mon peuple qui vit au 21ème siècle en s’accrochant au mode de vie nomade. Il m’est impossible d’en visionner un autre. Car dans mon âme il y a autant de souvenirs de nos Ancêtres qu’il y a de grains de sable dans le désert du Sahara.
Aujourd’hui, certains de mes amis touaregs et moi, avons quitté les ergs et les regs pour nous perdre dans les grandes villes d’Afrique et d’Occident.
A travers les trous dans leurs murs de béton, qu’ils nomment balcons ou fenêtres, nous avons vu le désert plus grand encore. Car ici loin de chez nous, notre nostalgie est bien plus grande que tous les déserts du monde. Nous sommes devenus des spectateurs impuissants de la destruction de notre mode de vie et la disparition de notre culture.
Tous les enfants touareg conscients et vivants à notre temps, sont forcément condamnés à vivre avec ce mal dans leur âme : celui de voir leurs frères, pris dans la tempête brûlante.
Ce désert est notre âme. Pour d’autres, il semble vide de toute vie mais nous, il est la liberté.
Même en traversant les plus vastes des étendues jusqu’à nous disperser ou franchir toutes les villes du monde, notre fenêtre d’évasion restera à jamais le désert dans son intégralité et son inégalable splendeur.
Sid Ahmed Mossa
Jérôme VERNHET
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